20 septembre 2024

En Mémoire de Jean-Claude Noël : L’Homme, l’Ami, le Passionné d’Art”

HOMMAGE À JEAN-CLAUDE NOËL 

J’ai connu Jean-Claude Noël il y a plus de vingt ans, grâce à mon frère Michael à qui le liait une amitié complice autour de leur commune admiration pour André Malraux. 

Nous avons aussitôt trouvé de nombreuses affinités, des sujets de conversations dont on imagine qu’elles dureront toujours. Hélas, elles ont pris fin il y a une dizaine de jours, après notre dernier échange au téléphone, durant lequel Jean-Claude évoqua Pierre Coureux avec amitié. 

Dans les années 2000, notre ami avait suivi avec passion la préparation des deux volumes des « Écrits sur l’art » de Malraux dans la Bibliothèque de la Pléiade, Écrits qui devaient alimenter nos discussions pendant plusieurs années. Grand connaisseur des « Voix du silence », Jean-Claude avait particulièrement apprécié l’Introduction de Jean-Yves Tadié au premier volume de cette édition, mais il regretta beaucoup que les centaines de reproductions des trois tomes du « Musée imaginaire de la sculpture mondiale » n’aient pu être jointes à ce volume sous la forme, par exemple, d’un CD-ROM.

Né à Manosque le 28 juin 1947, Jean-Claude fut élevé par une grand-mère pieuse dont il vénérait la mémoire. Coursier chez Gallimard au début des années 1970, il évoquait avec reconnaissance l’accueil chaleureux que surent lui réserver des auteurs aussi différents que Jean-Paul Sartre, Philippe Hériat ou la princesse Bibesco (il me reparlait d’elle récemment, alors que nous évoquions le charme de l’Île-Saint-Louis où elle avait vécu). Beaucoup moins agréable lui était le souvenir de l’accueil méprisant d’Henry de Montherlant. 

Ancien militant trotskyste qui avait connu la Pologne à l’époque soviétique mais ne se reconnaissait pas du tout dans le sectarisme des lambertistes ; urbaniste au ministère de l’Équipement – il avait notamment travaillé avec Roland Castro –, bibliophile averti et collectionneur d’autographes, Jean-Claude avait une grande culture artistique : comment ne pas mentionner tout d’abord sa passion pour le tympan de Moissac qu’il avait si souvent contemplé sur place ? Et dans ce domaine, nous étions tous deux d’accord pour dire que « les pages de Malraux sur l’art roman, puis plus tard sur l’art gothique, sont parmi les plus belles qu’il ait jamais écrites », comme le disait Jean-Claude en 2016 dans une conférence à l’Institut national d’Histoire de l’art (que l’on peut lire sur le site des AIAM).

Sa passion pour l’art n’avait d’ailleurs pas de frontières : notre ami commun Jérôme Serri m’écrit que Jean-Claude lui avait un jour parlé d’une exposition de poteries japonaises du Xe siècle avant Jésus-Christ « avec une telle ferveur » que, dès le lendemain, Jérôme s’y était précipité.

Pour retrouver notre ami Noël, il faut lire ou relire son excellente notice sur  « Le Musée imaginaire de la sculpture mondiale » dans le « Dictionnaire Malraux » de Ch.-L. Foulon, J. Mossuz-Lavau et M. de Saint-Cheron (CNRS Éditions), celles qu’il a consacrées à Cézanne, Braque et Picasso dans le    « Dictionnaire André Malraux » de J.-C. Larrat (Classiques Garnier), ou encore sa notice pour l’édition du DVD des      « Métamorphoses du regard », le documentaire de son ami Clovis Prévost (Maeght éd.).

Sa culture était aussi littéraire : je me souviens de nos interminables conversations sur Baudelaire et particulièrement le Baudelaire critique d’art qu’il connaissait avec une impressionnante précision. À ce sujet, il avait été très heureux de connaître les grands baudelairiens André Guyaux dont il apprécia le savoir et la simplicité, ainsi qu’Andrea Schellino qui lui avait offert son édition du « Spleen de Paris » et que Jean-Claude estimait beaucoup. 

Il éprouvait, d’autre part, de l’affection pour Louis Guilloux qu’il n’avait jamais rencontré, mais qu’il aimait profondément à travers son œuvre, en particulier « Le Sang noir ». Nous en parlâmes des dizaines de fois. Et il avait été heureux que j’inscrive, l’année dernière, « La Maison du peuple » au programme de licence à la Sorbonne. Il aimait aussi Francis Ponge dont il avait possédé le « Littré » annoté par le poète.

Il y a peu, il me disait encore le profond plaisir que lui procurait le « Journal intime » d’Eugène Dabit dont il avait repris la lecture. Parmi les nombreux cadeaux que j’ai reçus de lui, il y a une édition ancienne de « La Zone verte » du même Dabit, émouvant roman par lequel je rejoignais les goûts de mon ami.

Nos conversations tournaient également, on s’en doute, autour des écrits de Malraux sur l’art qu’il connaissait à fond et qui l’enthousiasmaient, « Les Voix du silence » et « La Tête d’obsidienne » ayant sa prédilection. De cela encore nous avons parlé pendant des années. On lira avec profit (sur Malraux.org) sa précieuse enquête sur la tête d’obsidienne, non pas le livre, mais l’œuvre qui inspira son titre à Malraux.

En 2013, Jean-Claude avait assisté, au Louvre, aux conférences de Georges Didi-Huberman sur « L’album de l’art à l’époque du Musée imaginaire » et n’avait pas hésité à intervenir, avec éloquence, pour contester, à juste titre, certaines affirmations du conférencier. Un peu plus tard, il avait suivi avec un constant intérêt la préparation de l’exposition du musée Pouchkine sur Malraux et le Musée imaginaire, qui eut lieu en 2016 sous la houlette d’Irina Antonova. 

Au chapitre des goûts, amitiés et complicités, je n’oublie pas l’attirance de Jean-Claude Noël pour « l’esprit N.R.F. » de Jean Paulhan et Marcel Arland, pour André Berne-Joffroy qu’il avait connu personnellement ; je n’oublie pas sa grande estime et son amitié pour Jean Leymarie qu’il évoquait souvent ni, plus tard, la confiance amicale que lui inspirèrent Jean-Claude Larrat et Henri Godard, ni son admiration pour Jean-Yves Tadié, son style et son humour. La rencontre de Jean-Claude avec mon vieil ami et ancien professeur Alain Meyer – que je suis heureux d’avoir pu organiser, la première fois chez un Chinois de l’avenue de Choisy – fut pour Jean-Claude un grand moment de bonheur ; il me le répéta souvent par la suite. Il en découla d’ailleurs une correspondance entre eux au sujet de la « Petite géographie des “ Noyers de l’Altenburg ” », passionnante étude d’Alain Meyer parue dans la revue « Roman 20-50 » (de juin 1995).

Dans un registre plus personnel, je dois dire, même si ceci paraît immodeste, que Jean-Claude apprécia mon « Malraux devant le Christ », et j’en fus profondément touché car son avis m’importait beaucoup. C’est lui, d’ailleurs, quand je travaillais à ce livre, qui avait appelé mon attention sur le regard posé par Malraux sur le « Christ d’Assy » de Germaine Richier que j’ai tenu à reproduire dans l’ouvrage.

Je sais, en outre, que ses compliments étaient sincères, car il n’hésitait pas à exprimer ses désaccords ; son amitié était franche et n’excluait pas la critique. Dans un franc-parler qui pouvait être très vif, voire brutal, il lui arrivait aussi de faire connaître ses antipathies. Ces derniers temps, nous nous vîmes souvent autour d’un café, tout près de chez lui, chez Mourad, un sympathique Kabyle que Jean-Claude estimait beaucoup, aimant aussi l’atmosphère de son restaurant.

Avec cet homme complexe et infiniment attachant, dont les dernières années furent marquées par la souffrance, je perds l’un de mes amis les plus proches, et son départ – même s’il est pour lui une délivrance – laisse, pour ceux qui l’ont aimé, un vide immense.

      François de Saint-Cheron