22 novembre 2024

Moncef Kemiri : Le fait poétique et le fait pictural d'après André Malraux

Le fait poétique et le fait pictural d’après André Malraux

Moncef KHEMIRI, Professeur de littérature française, à l’Université de la Manouba, Tunis

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«La peinture, écrit Léonard, est une poésie qui se voit.»

Le Musée imaginaire, Gallimard, 1965, p. 181.

 

Le parallèle qu’esquisse souvent Malraux entre la peinture et la littérature se

justifie par une unité de vocation, car «comme le peintre, l’écrivain n’est pas le

transcripteur du monde, il en est le rival » 1. Cette rivalité avec le monde se manifeste à

travers la volonté du peintre et de l’écrivain de créer une œuvre qui, libérée des entraves

du réel, édifie un monde capable de se suffire à lui-même. Le désir de l’œuvre surgit

chez l’un comme chez l’autre, non devant la contemplation de la nature, mais suite au

bouleversement que produit sur eux la découverte d’un chef-d’œuvre : «Comme le génie

du berger Giotto naquit plutôt en contemplant la fresque, le génie d’un romancier naît

devant un pouvoir de création, celui par lequel le dessein de raconter l’histoire de la

femme de Delamare se transforme en Madame Bovary» 2.

La volonté de créer une oeuvre autonome et souveraine dont les artistes et les

écrivains ont toujours eu conscience, s’est d’abord manifestée dans la peinture

maniériste et la poésie de la Pléiade, avant de s’épanouir pleinement dans la deuxième

moitié du XIXe siècle quand le peintre a renoncé à représenter, et l’écrivain – surtout le

poète – à raconter.

 

  1. Eloge des poètes de la Pléiade et du maniérisme

 

« (…) l’aventure poétique que fut le maniérisme.»

Le Musée imaginaire, «Idées /Arts», Gallimard, 1965, p. 182.

 

Loin de voir dans ce courant, qui en France s’est mû en une véritable école – la

célèbre Ecole de Fontainebleau – une dégénérescence de l’art classique ou la manifestation

«maniérée» d’une vie de cour dissolue dont les peintres italiens ont complaisamment

illustré la galanterie raffinée et sophistiquée dans des fresques que Panofsky a

lues comme un «roman à clefs» 3, Malraux a surtout été attentif au parti pris antinaturaliste

de cet art, à sa propension à la poésie et à sa mise en avant du pouvoir de

création. Il ne l’a pas considéré du point de vue du contexte historique, mais du double

point de vue de l’imaginaire et de la création. En mettant l’accent d’une part sur

l’imaginaire mythologique que cet art a promu et qui va envahir toute l’Europe et en

imprégner la culture, et d’autre part sur l’originalité plastique et chromatique des

œuvres du Pontormo, du Rosso et du Primatice, Malraux a cherché à en montrer toute

la puissance et toute la «modernité». Plus qu’un mouvement artistique historiquement

déterminée, le maniérisme, a représenté pour Malraux une étape décisive – voire «une

révolution» 4 – dans l’histoire de la culture et de l’imaginaire occidentaux et une

expérience extrêmement moderne dans la création picturale, et poétique en général.

Cette approche si nouvelle de l’art maniériste qui a été formulée principalement

dans le chapitre 6 de L’Irréel 5, a été en fait annoncée par un ensemble de réflexions

ponctuelles que l’auteur a développées dans Les Voix du silence 6 (1951). Il y avait

souligné l’originalité de la palette maniériste en la mettant en relation avec le baroque

espagnol : «Certains maniéristes italiens, le Rosso par exemple, toute une école du

baroque espagnol ont apporté un changement radical de palette, une trouble harmonie

de jaune et de violet dont la photo en noir ne transmet rien, et sur quoi leur art repose

tout entier.» (p. 28). De même qu’il avait attiré l’attention sur la puissance

d’envoûtement de cet art, qu’il doit à son onirisme et à la poésie qui en émane, et qui

font de «Piero di Cosimo un frère de Chirico» (VS, p. 61). Mieux encore, Malraux a pris

des initiatives en vue d’assurer une meilleure connaissance de cet art.

Entre 1960 et 1966, il s’est employé en tant que Ministre de la Culture, à faire restaurer

la Galerie François Ier afin de faire découvrir «les vraies fresques de Fontainebleau

«longtemps dénaturées par des surpeints abusifs» 7. Il avait suivi avec un vif intérêt les

travaux de restauration et fut en particulier passionné par la découverte qu’on fit d’un

portrait de François Ier 8 recouvert par celui d’Henri IV. Enfin, en 1972, il a accepté,

sur la demande d’André Chastel, d’écrire la préface du numéro spécial (nos 16-17)

que la Revue de l’art a consacré à Fontainebleau. Il avait alors rendu hommage au

travail des restaurateurs dans des termes particulièrement chaleureux :

«Pour la première fois, écrit-il, il semble que la restauration ne soit soumise

est plus l’académisme qui ordonne la restauration

est la restauration assurée de ses peintures, centimètre après centimètre,

qui nous apporte l’un des premiers ensembles maniéristes du monde.» 9

 

Dans l’analyse qu’il consacre à cet art dans L’Irréel, Malraux commence par

débarrasser le terme de «maniérisme» de la connotation péjorative que la tradition,

depuis Vasari, y a déposée pour faire valoir ce qui en cet art est avant est création : «Le

mot maniérisme, qui, comme beaucoup d’autres, doit peut-être son succès à un double

sens – car maniéré s’y superpose à manière – s’est d’abord rapporté à trois arts différents:

un art de pasticheurs ou d’épigones, censé suivre la «manière» des grands maîtres, et

qu’il n’y a pas lieu de retenir; un art «formaliste», celui de Pontormo; enfin un art de

grâce et d’élégance, que symbolisent les figures du Parmesan et l’école de

Fontainebleau» (Ir., p. 181) Pour Malraux, le maniérisme n’est pas un art d’épigones

plus ou moins inspirés 10, mais l’une des voies que les grands maîtres avaient déjà

commencé à explorer. Il convient donc, estime l’auteur, de ne pas du limiter l’art de

Michel-Ange ou de Raphaël, à une formule classique, ni de faire du maniérisme, un

anti-classicisme : «Le style exemplaire proposé, puis imposé à l’Europe, sous le nom de

classique, par la France plus que par l’Italie, se réclamera de la sculpture du siècle de

Périclès; Raphaël ne la connaissait guère, et son Athènes intérieure, beaucoup plus

antique que celle de Giraldi, qui ne l’était pas du tout, n’était pas plus athénienne:

comme celle de Michel-Ange, comme celle de Venise, comme celle de Fontainebleau,

comme celle de tout le XVIe siècle, elle était hellénistique». (Ir., p. 172). Malraux

déplace ainsi les lignes de forces et situe le développement de l’art Renaissant sous le

signe, non de l’art classique grec, mais sous celui de l’art hellénistique, plus riche et

plus varié, plus expressif. Ce faisant, il s’inscrit en faux contre la tradition bien ancrée

en affirmant qu’il n’y pas de solution de continuité entre l’art classique des grands

maîtres et les maniéristes «Depuis quelques années, maniérisme s’applique à presque

tout l’art italien ou italianisant (y compris le Greco)… postérieur à Raphaël, et conçu

comme une réaction contre celui-ci. Or, si l’art maniériste succède à celui de Raphaël et

du Corrège, morts jeunes, il se développe en même temps que celui de Michel-Ange et

de Titien ; Pontormo, le Rosso vénèrent Michel-Ange, et les contemporains du

Parmesan, créateur des figures maniéristes les plus contagieuses, lui reprochent de trop

prétendre continuer Raphaël.» (Ir., p. 181).

En effet, situant le maniérisme dans le prolongement des œuvres des grands

maîtres, Malraux rappelle que ces derniers ont manifesté dans certaines de leurs œuvres

le goût d’une ornementation «bizarre» ou d’une gestuelle théâtrale ou affectée. Il

reconnaît, en particulier, les signes annonciateurs de cet art dans le «casque du

Penseur11 où un mufle de lion devient conque» (Ir., p. 176), et surtout dans les statues

de Laurent II et de Julien de Médicis, érigées en face de la Vierge, et qui ont cessé

d’être «des symboles de forces fondamentales» (Ir., p. 176). Cette inspiration maniériste

est aussi présente dans le chef-d’œuvre de Raphaël, L’Ecole d’Athènes où « [L]es sages

[…] devisaient sous une statue d’Apollon violemment maniériste.» (Ir., p. 172). Cette

tendance s’accentue dans les dernières œuvres du peintre qui «avant de mourir, avait

peint la Sainte famille à la perle, annonciatrice du maniérisme, le Saint-Michel du

Louvre précurseur du baroque» (Ir., p. 171). Malraux ne fige pas le génie de Raphaël

dans le classicisme des Chambres de la Signatures qui ne représentent à ses yeux

«qu’un moment éphémère et illustre dans [sa] création» (Ir., p. 172). Et les colonnes

torses de la Guérison des Boiteux surchargées d’ornements que met en valeur la

reproduction de la page 173, ne préfigurent-elles pas, plus d’un siècle à l’avance, le

célèbre baldaquin de Saint-Pierre, œuvre du Cavalier Bernin, le «père» du baroque ? En

outre, les gestes amples et raffinés des personnages qui suivent avec étonnement le

mouvement hésitant du boiteux auquel le Christ fait signe de marcher, se déploient pas

selon un jeu purement théâtral; c’est également le cas de L’Incendie du Bourg 11. Mais

cela ne signifie pas Raphaël ait imité le théâtre. «Le plafond de la Sixtine, la Chambre

de la Signature étaient achevées quand le théâtre fut pris au sérieux à Rome» (Ir., p.

174), rappelle Malraux. Quant aux pratiques théâtrales déjà existantes, elles n’étaient

pas, estime-t-il, de nature à exercer la moindre influence sur le peintre, car «[d]ans les

représentations allégoriques de la Toscane ou de Vénétie, l’acteur chantait ou récitait

son rôle» (Ir., p. 174), mais ne jouait pas. Elles ne semblent donc pas avoir eu de but

illusionniste. C’est donc le peintre qui, en cherchant à donner une présence

convaincante à une fiction, a inventé un espace imaginaire où peuvent se produire de

telles scènes. Par le déploiement de ce théâtre imaginaire, Raphaël se révèle alors

comme dans ce domaine comme le plus «prestigieux illusionniste d’un prestigieux

imaginaire» (Ir., p. 173).

Néanmoins, si les dernières œuvres de Michel-Ange et Raphaël préfigurent le

maniérisme, nos deux artistes ne sont au sens propre des maniéristes. C’est que leur

création est inséparable de ce que Malraux appelle «le cosmos médicéen»13, c’est-à-dire

cette philosophie humaniste à laquelle les deux artistes avaient contribué à donner forme

par leurs propres œuvres.

Pour que l’esthétique maniériste émerge en tant que pratique spécifique, il faut

que s’effondre d’une part lordre philosophique, moral et politique qui soutenait l’art de

l‘Irréel, et que soit d’autre part abandonnée la conception démiurgique14 dont il procède.

 

Cette double faillite se produit dans l’histoire de l’Italie du XVIe siècle avec le sac de

Rome (1527), catastrophe politique qui a été aurait été, d’après Michelet, la principale

cause de l’expatriation des artistes italiens dans les autres pays européens15. Les

dégradations dont fut l’objet l’Ecole d’Athènes en 1527, apparaissent en effet à

Malraux, comme le signe non seulement du déclin de Rome, mais aussi de l’effacement

de la vision du monde édifiée par l’humanisme médicéen : «Sept ans après la mort de

Raphaël, les archers allemands du connétable de Bourbon 16 crèvent jovialement les

yeux des philosophes (…)» (Ir., p. 175)17. Le romanesque mythologique prend alors la

relève sur la vision grandiose du «christianisme médicéen», et oriente l’art dans le sens

d’une recherche formelle libérée de toute quête de valeurs morales ou spirituelles,

dégagée de toute prédication : l’inspiration héroïque d’un Donatello ou d’un Michel-

Ange «ne laisse pas le champ libre à quelque peinture austère de la Réforme, mais à la

mythologie selon Galatée et la Psyché de Raphaël, à l’histoire selon les Noces

d’Alexandre de Sodoma» (Ir., p. 176). Le romanesque mythologique que Malraux

désigne par l’expression fort suggestive du «ballet d’Armide» (Ir., p. 172), et qui ne

représentait qu’un aspect relativement secondaire dans l’œuvre de Michel-Ange et de

Raphaël, finit alors par s’épanouir pleinement dans les œuvres des peintres proprement

maniéristes comme Jules Romains, Le Rosso, Le Primatice, Pontormo et tant d’autres.

Ce romanesque supplante la fable de la souveraineté héroïque, et oriente la création

artistique dans une nouvelle direction : si l’art florentin a exprimé l’orgueilleuse

grandeur du «cosmos médicéen», l’art maniériste ne doit son pouvoir de séduction

qu’au romanesque qu’il déploie, à la fiction qu’il donne à voir dans des formes où la

grâce le dispute à l’élégance.

En substituant la stylisation au style, le maniérisme ne se présente pas comme une

démiurgie, mais comme un faire essentiellement poétique. «[…] le Parmesan met au

service de ce qu’il appelle la grâce, la déformation que Michel-Ange met au service de

la force.» (Ir., p. 196). Grâce aux maniéristes, affirme Malraux, «la peinture trouve une

liberté nouvelle, parce qu’elle vise un nouvel objet.» (Ir., p. 189). Mais cet objet n’est

pas encore l’oeuvre artistique en soi, telle que la définit Maurice Denis («Couleurs en un

certain ordre assemblées» (Ir., p. 189) parce que le Maniérisme ne signifie pas

l’abandon de l’univers de la fable qui a tant nourri l’art de l’Irréel, tant à Florence ou

Rome qu’à Venise, mais la transformation de cette dernière en un motif entrant dans

une composition essentiellement poétique. «A l’Irréel de leurs devanciers, ils entendent

seulement substituer le leur : ils n’aboutiront pas à la peinture au sens moderne, mais

toujours à une stylisation, souvent à un onirisme.» (Ir., p. 190).

Libérée de toute préoccupation métaphysique, oublieuse de «l’antiquité

exemplaire», la peinture maniériste n’est plus qu’un réservoir de récits anecdotiques et

de scènes galantes que l’artiste se plaît à représenter avec «grâce et élégance» (Ir., p.

181). Le pouvoir de séduction de ce romanesque est tel qu’il finit par supplanter en

France l’imaginaire médiéval18 et apparaître comme le véritable couronnement de la

«peinture courtoise» (Ir., p. 190). Malraux met en valeur l’empire que l’imaginaire

maniériste a exercé sur l’Europe en écrivant : «C’est par ce romanesque que le génie

italien va conquérir l’Europe catholique : les formes médiévales ne seront effacées en

France, ni par Léonard (bien que Léonard meure au service de François Ier) 19 ni par

Michel-Ange, ni par Raphaël, ni par le Corrège, mais par le Primatice 20 et le Rosso.

Du Raphaël de la Farnésine à son disciple Jules Romain, de celui-ci à son

assistant le Primatice, dont l’œuvre commence à Mantoue, le romanesque mythologique

étend son empire en passant du banquier Chigi aux princes de Gonzague, des

Gonzagues au roi de France.» (Ir., p. 180). A Fontainebleau, le Primatice et le Rosso

exécutent «le plus vaste cycle de fresques profanes de la chrétienté» (Ir., p. 180) où ils

font triompher en même temps que la fable mythologique «la liberté de l’artiste».

 

Récusant l’approche iconologique et le principe de «la corrélation par allusion»

qui permet Panofsky21 de traiter la Galerie de François Ier comme un «roman à clés»,

Malraux préfère y voir une décoration féerique que l’on peut apprécier indépendamment

des anecdotes auxquelles elle peut faire allusion, une réécriture originale des oeuvres des

maîtres où le contexte historique est relativement second par rapport aux sollicitations

oniriques qui en émanent et aux formes radieuses qu’elles donnent à contempler. S’il y

a un passé, une tradition qu’il convient de convoquer quand on parle de maniérisme

c’est celle de l’histoire de l’art, «une histoire de l’art, ordonnée par les formes». (Ir., p.

182). Mais loin d’être un art d’imitation, «un art de pasticheurs ou d’épigones»

largement déterminé par «la maniera» des maîtres, le maniérisme en est plutôt, estime

Malraux, une réécriture consciente et tout à fait originale. Bernard Lamblin va dans le

même sens quand il écrit que «le maniérisme travaille les formes auxquelles la haute

Renaissance avait conféré une idéalité intemporelle adéquate à l’esprit religieux. Ce

travail entraîne une transformation de leur contenu.»22. Cette transformation va aux

yeux de Malraux dans le sens d’une déréalisation tournée vers la création d’une «ligne

mollement ingriste», d’une «arabesque23 décorative» (Ir., p. 190) qui transforme l’acte

en geste, le combat en ballet et la démiurgie en effet de style. Même la signification

morale ou philosophique de la mythologie s’efface sous la grâce des poses.

Quand il passe en revue les œuvres majeures de Jules Romain, du Rosso, du

Primatice, du Parmesan ou de Pontormo, Malraux insiste sur les qualités plastiques de

cette réécriture détendue et complaisante. Pour lui, Jules Romain, élève et admirateur de

Michel-Ange, n’a repris au Palais du Té l’histoire de Psyché et les combats contre les

Titans que dans le but d’associer «les ignudi de Michel-Ange au Parnasse de Raphaël»

(Ir., p. 179). Le domaine de référence du peintre n’a été pour ce cas ni le réel, ni

l’histoire, mais la peinture elle-même : «Il se réfère expressément aux oeuvres des

maîtres – à un domaine d’œuvres d’art.» (Ir., p. 179). Libéré de toute démiurgie, c’est-à-dire

de tout souci de construire un système de valeurs et peu tenté par la représentation

du réel, le peintre ne retient des œuvres des maîtres que les formes qui l’ont marqué, de

la mythologie que les épisodes qui favoriseraient le déploiement de ces formes. Ainsi le

Jupiter foudroyant les Titans, présenté à la page 179, montre clairement la pratique

picturale de Jules Romain, sa volonté de «pasticher», les œuvres admirées pour les

transfigurer. Il en va de même de la fresque du Rosso, Les Filles de Jéthro (1453) dont

les nus se réfèrent à l’œuvre de Michel-Ange autant qu’aux mythologies du palais du

Té. (Ir., p. 190). En négligeant cette dimension interpicturale, Lamblin place cette

œuvre dans une optique picturale que Malraux conteste : «Rosso, écrit Lamblin, tire

vers la violence pure l’Histoire de Moïse défendant la fille de Jéthro, il en fait un

moment frénétique où la brutalité ne paraît avoir d’autre fin que son propre

déchaînement.» Pour Malraux, au contraire, ce qui compte dans cette œuvre, ce n’est

pas «l’explosion d’une violence aveugle»24, mais le spectacle que donne «la fixité des

nus» (Ir., p. 190). Le combat n’est qu’un prétexte au déploiement d’une gestualité

aérienne qui donne à la scène l’allure d’un ballet. Pour mieux en apprécier l’écriture

stylisée, il conviendrait de la rapprocher des fresques de la Sixtine qui ont fortement

marqué le Rosso : elle ne peut être pleinement goûtée que «des amateurs qui

connaissent le plafond de la Sixtine, avec lesquels le Rosso établit une complicité.» (Ir.,

p. 190). Variation sur le thème du combat, Les Filles de Jéthro qui se déroulent, il est

vrai, dans une atmosphère qui n’a rien de biblique25, n’accèdent à leur véritable

signification qu’à la faveur d’une lecture interpicturale grâce à quoi se révèle la volonté

du peintre de réaliser l’exténuation du potentiel dramatique du Jugement dernier pour

aboutir à une formule où les combattants et leurs torsions ne sont que des figures

ornementales qui font valoir «la ligne serpentine», «l’arabesque décorative» (Ir., p.190).

 

Art au second degré, le style maniériste ne peut être apprécié que par des

connaisseurs et plus précisément par des peintres. C’est en particulier l’impression que

donne Pontormo, l’auteur de la célèbre Visitation (1530-1532) : «…Pontormo semble

quelquefois peindre seulement pour les peintres.» (Ir., p. 190). Cette dimension

interpicturale, extrêmement importante dans l’art maniériste, illustre magistralement

l’idée déjà exposée par l’auteur dans Les Voix du silence où il écrivait notamment : «Si

la vision de tout artiste est irréductible à la vision commune, c’est que, dès son origine

elle est ordonnée par les tableaux et les statues et le monde de l’art.» C’est à partir des

œuvres des grands maîtres et contre elles que s’est formée l’écriture plastique maniériste

et non pas par référence au réel : il s’agissait d’aller du style26 à la stylisation, des

formes raides aux formes molles et nonchalantes en faisant jouer à plein l’art de «la

déformation27 créatrice» (Ir. p. 193). Par cette expression, Malraux désigne cet

allongement démesuré des formes qui caractérisent l’art maniériste comme en

témoignent La Madone au long cou ou Les Nymphes de Fontainebleau du Parmesan. Il

rapporte cette technique à l’influence souterraine que l’art septentrional a sans doute

exercée sur les peintres italiens. L’auteur fait remarquer dans La Mélancolie de Dürer

«ce petit chien bien étranger au gothique conventionnel, et dont nous pouvons douter

que le traitement ait échappé à l’attention des peintres.» (Ir., p. 186). Mais dans la

gravure germanique, l’étirement des formes et leur enroulement rappellent «les

prophètes aux barbes en volutes» du gothique international, et se veulent «la traduction

dans le langage du monde de Dieu» (Ir., p. 86), c’est- à- dire qu’ils sont interprétés

comme des signes merveilleux de la transcendance divine. Par contre, pour les artistes

maniéristes, libérés autant du christianisme médiéval que de l’humanisme médicéen, ces

formes ne comptent que pour elles-mêmes. Elles manifestent avant tout le pouvoir de

l’artiste à créer un domaine où la linea serpentina épouse la forme du rêve.

Pour souligner le rôle de catalyseur qu’a joué la «gravure germanique» dans la

promotion de l’esthétique maniériste, Malraux la compare à ce qu’ont été les estampes

japonaises pour les impressionnistes et les masques nègres pour les cubistes: «Dans la

déformation des figures […] Pontormo n’est pas seul à découvrir ce que Van Gogh

découvrira dans les estampes japonaises, ce que les peintres du début de notre siècle

découvriront dans les sculptures africaines : une liberté, un pouvoir de l’art inconnus.»

(Ir., p. 186) Et c’est ainsi que les maniéristes vont pratiquer «un dessin sans précédent

en Italie» (Ir., p. 189), «une ligne mollement ingriste» grâce à laquelle triomphe «cette

liberté nouvelle» (p. 189) de l’art et éclate au jour son pouvoir à créer des formes

presque totalement émancipées du réel.

La déformation créatrice intervient alors comme un puissant mode de stylisation.

Mais à la différence des maîtres du style sévère qui procédaient par simplification et

soustraction, les maniéristes, et Parmesan en particulier, veulent «contraindre les

volumes à l’arabesque» (Ir., p. 195), «les assouplir, les orner et les enrichir» (p. 195).

Comparant le visage d’Antéa à celui d’un des anges de la Madone au long cou, l’auteur

relève ces «insensibles arabesques» que décrivent les légères ondulations de la

chevelure blonde avec ses reflets argentés. Ces mêmes motifs qui se retrouvent, mais

plus accentués, dans la belle coiffure de La Madone lui donnent l’air d’une «orfèvrerie»

(p. 195). Mais ce traitement gracieux de la chevelure n’est qu’un élément dans un vaste

ensemble où triomphe la grâce de l’arabesque. Dans ce tableau célèbre des Offices, le

verticalisme de la composition, d’ailleurs fluide, est accusée par une colonnade dont la

fonction est de doubler la figure centrale. Celle-ci dont les proportions sont étirées en

longueur développe une silhouette ondulante couverte d’une robe ample aux larges plis.

Cet allongement des formes affecte également certaines parties du corps de la Vierge,

notamment les doigts finement effilés et le cou long et flexible sur lequel est érigé un

visage en amande. Malraux fait résider toute la beauté de cette œuvre dans «la main

florale» (Ir., p. 193) de la Vierge, car celle-ci possède «le pouvoir nouveau» que l’artiste

s’est découvert, et qui consiste moins à imiter la réalité qu’à rivaliser avec elle. Aux

yeux de l’auteur «cette opération est délibérément orientée par la volonté de créer un

monde intellectualisé, plein de suggestions confuses comme celles de Léonard, presque

onirique, dont le peintre connaît la puissance de poésie comme il connaît la puissance de

la déformation.» (Ir., p. 196)

 

Outre l’arabesque, ce qui contribue encore à accroître le coefficient d’irréalité de

la peinture maniériste, c’est évidemment sa couleur arbitraire. Plus que La Visitation de

Pontormo qui frappe par ses couleurs pastels (voir p. 188), ce sont pour Malraux les

fresques de Fontainebleau qui présentent le meilleur ensemble où s’épanouit pleinement

une couleur qui n’est motivée par aucun souci de vraisemblance : «Et dès leur arrivée à

Fontainebleau, trois ans après le sac de Rome, les Italiens avaient mis au service de la

Cour de France un nouveau coloris.» (Ir., p. 196). Cette palette dissonante que le Rosso,

le Primatice et Niccolo dell’Abbate ont mise en œuvre ne vise pas à «une stylisation des

effets lumineux», mais manifeste la volonté de creuser l’écart entre le réel et l’art, de

créer un univers que n’existe que dans et par l’art : «Ce n’est pas la lumière, mais l’art

seul, qui légitime les nus mauves et verts que peint le Rosso, comme il légitime seul la

déformation des nymphes que le Primatice et Niccolo dellAbbate peignent dans la

Salle de Bal de Fontainebleau.» Les roses, les jaunes, les mauves n’ont pas eu pour but

d’ancrer figures et objets dans l’univers de la vraisemblance; leur usage arbitraire vise à

faire surgir une vision poétique et sacrifie le principe de réalité au principe esthétique. A

la faveur de «ces accords de jaunes pâles avec des gris presque lilas, de blancs avec des

verts acides et des bleus aigus» (Ir., p. 196), une fresque comme La Mort d’Adonis perd

de son contenu dramatique au profit d’une décoration féerique où les gestes abandonnés

du jeune dieu rejoint «le mol allongement des déesses» (Ir., p. 198) et où le désarroi des

nymphes suscite le battement de leurs ailes aux couleurs pastel. Au point de vue

plastique et chromatique, cette fresque ne diffère en rien de cette autre œuvre de le

Rosso : L’Amour châtié par Vénus (p. 198) : elles communient toutes deux dans une

chaude couleur rythmée par le mouvement ample de l’arabesque. L’espace pictural non

illusionniste qui accueille cette profusion de formes et de couleurs augmente leur

irréalité et oriente la fable qu’ils évoquent vers un monde onirique dont Malraux a

évoqué le charme et la poésie dans Les Voix du silence : «Les Moissonneurs du Louvre,

la Descente dans la Cave sont-ils moins chargés de poésie que l’Eva Prima Pandora

que les tableaux de Caron, que tant de Dianes ? L’allongement, la transparence du voile,

l’arabesque si souvent orientée vers quelque pointe, et apparentée à celle de la glyptique

plutôt qu’à celle d’Alexandrie, sont bien des moyens picturaux. C’est le Rosso, non

Venise qui invente la trouble harmonie que reprendront les baroques espagnols. Et dans

la char aux chevaux sombres qui emporte la Proserpine de Nicola [sic] dell Abbate vers

les gorges funèbres, comment séparer illustration et poésie ?»28 (p. 59-60). C’est pour

cela que Malraux a pu reconnaître dans l’art de Fontainebleau les prémices de l’art

moderne : A propos de la Galerie de François Ier, Malraux écrit : «La résurrection de

cette Sixtine du maniérisme nous révèle la première présence de l’arbitraire en art, au

temps où celui-ci devenait plus important que ce qu’il figurait – l’appel encore incertain

à un art qui ne serait soumis ni à la spiritualisation, ni à l’illusion, ni à l’idéalisation.

Dans la galerie François Ier, quelques génies sans chefs-d’oeuvre reconnus ont pressenti

ce que nous appelons la peinture…»29

 

Comme si elle avait été touchée par la grâce de la peinture maniériste, l’écriture

malrucienne glisse dans la fable et se fait poétique. Adoptant un rythme ample scandé

par l’anaphore, procédant par accumulation d’images inspirées de différentes œuvres,

pratiquant l’art des rapprochements insolites, et rompant avec le style démonstratif,

l’auteur donne à son texte la forme d’une évocation puissamment poétique, à la fois

enchantée et enchanteresse: «Cette peinture sans cosmos, qui semble reconquise par un

rêve médiéval, aboutit à l’onirisme où des chants lointains de la fin du Moyen Âge

rencontrent le chant de Léonard et de Piero di Cosimo, où Dossi rencontre un

romanesque anversois qui semble se souvenir du Téméraire, et où des divinités

nervaliennes accueillent les ramures pendantes des forêts germaniques — comme si l’art

royal français (au temps où la lumière, la couleur, la démiurgie de Venise éblouissent

l’Europe) cherchait dans cet onirisme une autre démiurgie. Le rêve qui inventa pour la

Visitation de Pontormo une place de Chirico30, inventera pour les personnages de Caron

des places de Dali, et fera de l’Eva Prima Pandora accoudée sur sa tête de mort héritée

des Vanités, plus encore qu’une rivale de la princesse de Trébizonde, une sœur de

Morgane et de Circé.» Malraux était d’autant plus bien placé pour comprendre et

apprécier l’onirisme maniériste qu’il lui avait lui aussi déployé dans Royaume-Farfelu

une écriture où la féerie orientale avait revêtu les formes les plus insolites des

«songes»31. Il arrive même que l’auteur quitte le terrain de l’histoire de l’art et donnant

libre cours à son imagination, fasse se croiser dans un espace imaginaire produit par le

texte, des figures plastiques traitées comme des personnages de fiction. Ainsi, par

exemple, l’allégorie de La Nuit, sculptée comme une géante somnolente est mêlée aux

Noces Aldobrandines de Sodoma : «Devant la Roxane qui accueillait Alexandre dans

les Noces Aldobrandines, on l’imagine protectrice de la maison de Macédoine, étendue

au-dessus des festins meurtriers du conquérant, ou dressant l’enseigne de ses muscles en

bronze scythe dans le crépuscule de Persépolis, dans l’aube où vont apparaître les

éléphants de l’armée indienne…» (Ir., p. 175). Transformée en une déesse guerrière,

elle semble présider «à la folie meurtrière d’Alexandre»32 transperçant de sa javeline

son ami Clitus, et à son expédition en Inde. Elle n’est donc plus cette «Pallas captive»,

qui préfère prolonger son sommeil plutôt que d’avoir à supporter le triste spectacle de la

tyrannie, c’est pour cela qu’elle semble chuchoter : «Ne m’éveille pas : parle bas ! 33»

(Ir., p. 178). Malraux continue ainsi, à rêver, au travers des oeuvres plastiques, à rêver

du destin fabuleux de son héros favori : Alexandre le Grand.

 

L’intérêt de Malraux pour l’art maniériste s’explique, à notre sens, par trois

raisons au moins. Si l’auteur a été été séduit par cet art, c’est d’abord parce qu’il

correspond à l’idée anti-mimétique qu’il se fait de la création artistique34 : la linea

sepentina qui s’y déploie, la palette dissonante qui y éclate, et le jeu interpictural qu’y

règne35, l’ont sans doute confirmé dans l’idée que l’art est moins imitation de la nature

que création d’un imaginaire inséparable des formes et des couleurs qui le suggèrent.

La seconde raison tient probablement aux puissances du songe que cet univers pictural

réveille et auxquelles Malraux répond par une écriture poétique. La dernière raison, et

qui n’est pas la moindre, a trait à cette invitation à l’amour et au bonheur qui sourd de

ces fresques, et à laquelle Malraux n’a pas été pas été insensible. N’a-t-il pas associé

l’une des femmes qu’il a le plus aimées, Josette Clotis, aux séduisantes figures

féminines de l’art maniériste, et en particulier à la Pénélope du Primatice36 ?

 

  1. L’émergence du fait pictural et du poétique au XIXe siècle

 

Dans Les Voix du silence comme dans L’Intemporel, Malraux célèbre l’émergence

simultanée dans la littérature et dans la peinture de cette volonté d’autonomie de l’art :

«La découverte du “fait poétique” est contemporaine, en France, du fait pictural»37,

souligne l’auteur. Celle-ci, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a pas vu le jour

avec le mouvement romantique, qui est resté fidèle à la grande fiction picturale de la

Renaissance italienne38 – «“Je suis un pur classique, Monsieur”, avait répondu

[Delacroix] à un innocent qui l’appelait “Le Victor Hugo de la peinture” : le classicisme

étant à ses yeux Venise et Rubens…»39 –, mais elle s’est révélée dans l’oeuvre de Manet,

Baudelaire et Mallarmé. C’est à ces trois noms-là que Malraux a associés la naissance de

l’art moderne dont «le premier caractère est de ne pas raconter»40.

Ce que «le génie agressif de Manet»41 a apporté à la peinture d’après Malraux, ce

n’est pas une modification de la tradition, mais «une rupture semblable à celle

qu’apportaient les styles ressuscités»42. Manet vide la peinture de son contenu

mythologique, historique, psychologique, et la réduit à une corrélation de formes et à un

agencement de couleurs, témoignant avant tout, de la toute puissance du génie créateur:

«Le sujet doit disparaître parce qu’un nouveau sujet paraît, qui va rejeter tous les autres :

la présence dominatrice du peintre lui-même»43. L’art prime chez Manet sur tous les

sujets qui ne sont plus pour lui qu’un prétexte à peindre. Ainsi la peinture d’histoire qui a

occupé une place élevée dans la hiérarchie des genres picturaux, n’est plus que peinture :

«L’Exécution de Maximilien de Manet, c’est le Trois Mai de Goya, moins ce que ce

tableau signifie»44. De même l’art du portrait est destiné non pas à faire valoir le

personnage représenté mais la palette de l’artiste, car : «Pour que Manet puisse peindre

le Portrait de Clemenceau, il faut qu’il ait résolu d’oser y être tout, et Clemenceau,

presque rien»45.

 

Ainsi l’art du peintre cesse d’être un ensemble de moyens au service d’une fiction

pour devenir «un langage indépendant des choses représentées, aussi particulier que

celui de la musique»46. Ce même mouvement d’émancipation, Malraux le reconnaît

également dans la poésie de Baudelaire qui récuse l’anecdote au profit d’une harmonie

suggestive : «La même grande aventure transformait la poésie, et de la même façon :

avec Baudelaire, elle cessait de raconter»47. L’image qu’utilise Baudelaire pour évoquer

le tableau de Manet, Lola de Valence (1862), le fameux «bijou rose et noir»48, est

interprétée par Malraux au sens chromatique du terme. Elle désigne cet accord nouveau

que recherchent aussi bien le peintre que le poète : «Lola de Valence n’est pas tout à fait

un bijou rose et noir”, mais Olympia commence à l’être, et dans la Pendule de marbre

de Cézanne, la pendule sera réellement noire, le grand coquillage réellement rose»49.

L’auteur associe encore davantage le poète au peintre en commentant le goût de Manet

pour l’esquisse qui met en valeur la matière picturale, avec les mots mêmes que

Baudelaire a trouvés pour désigner ce procédé : «Ce qu’on appelait le faire dans le

langage d’atelier, y prend la place du “rendu”»50.

 

Malraux rapproche également l’entreprise de «picturalisation du monde»51 que

mène Manet de celle que tente de réaliser Mallarmé qui a rêvé de réduire le monde à

son essence poétique : «“Le monde est fait pour aboutir à un beau livre”, disait

Mallarmé, et il l’était bien davantage pour aboutir à ces tableaux»52 écrit Malraux. Ce

rapprochement se justifie d’autant plus que Mallarmé a été l’un des poètes qui ont le

mieux compris le but que poursuivait Manet53.

 

Dans L’Intemporel, l’auteur revient, à l’occasion de l’étude de l’oeuvre de Manet

sur Mallarmé pour à la fois indiquer ce que le poète doit au romantisme et ce par quoi il

s’en sépare : «Lorsqu’il entreprend ses derniers sonnets, il fait appel à un pouvoir aussi

peu concevable cent ans plus tôt, que celui de Michel-Ange au temps des premières

cathédrales. C’est dans le monde romantique de l’art que Mallarmé a trouvé la liberté qui

lui permet de détruire le lyrisme romantique, et pressentir la poésie qu’il lui substitue.

En 1865, ce monde a déjà métamorphosé le Louvre«54. De la même manière que Manet

«veut détruire l’illusionnisme pour que le tableau devienne peinture, non image»55,

Mallarmé évacue tout lyrisme pour que le poème ne soit plus simple épanchement d’une

âme mais musique conquise par un agencement précis des mots. A Degas qui se

plaignait de la difficulté qu’il rencontrait à mettre en forme ses idées, Mallarmé n’avait-il

pas répondu : «Mais Degas, ce n’est point avec des idées que l’on fait des vers… C’est

avec des mots»56 ?

Le «fait pictural» que découvre Manet et qu’il révèle à des peintres modernes

comme Cézanne57, est l’équivalent aux yeux de Malraux, du «fait poétique»58 dont

Mallarmé a proclamé la souveraineté. Pour l’auteur le fait poétique ne se confond pas

avec la poésie que les classiques ont définie comme un «domaine supérieur du

discours»59, mais c’est «un domaine qui échappe au récit comme au discours» et qui

n’accueille que ce par quoi la poésie est poésie, c’est-à-dire en termes plus modernes : la

poéticité. Dans ce domaine «la grande poésie de ton, héritée de Rome et de Dante (“Si

tel est le destin des grandeurs souveraine…”) et le lyrisme romantique lorsqu’il se

prolonge à l’infini»60 trouvent leur «résonance intemporelle»61.

En lisant des oeuvres de différentes époques, mais qui jouissent toutes de ce

«pouvoir qui transcende l’histoire»62, le poète, comme le peintre qui parcourt le Louvre,

fasciné, a la révélation du fait poétique : «Les poètes ont découvert le monde dans

lequel le vers de Corneille se détache des valeurs qu’il exprime, et le verset d’Isaïe, de la

puissance prophétique et même de la foi – pour s’unir au vers de Baudelaire»63. Or, avec

Mallarmé, estime l’auteur, le fait poétique vers lequel tend le poème narratif ou lyrique,

«devient l’objet propre du poème, comme le fait pictural devient l’objet propre du

tableau»64. Ecrire pour lui, c’est avant tout actualiser la «valeur de la poésie», inventer

«une langue immaculée et des formules hiératiques»65 qui lui permettent d’accéder à cet

univers poétique. Pour Malraux, ce qui définit le mieux le projet de Mallarmé, ce n’est

pas l’expression d’un drame métaphysique66, mais le désir d’accéder à ce monde de la

poésie qui le hante. Rapprochant Rimbaud et Mallarmé, l’auteur écrit : «L’objet

principal de ses poèmes, comme de ceux de Mallarmé, n’est pas d’exprimer des

sentiments ou des valeurs, c’est la participation à cet univers qui nous vient du passé […]

mais qui appartient au passé comme il appartient à l’avenir» 67, et l’auteur de citer le

premier vers de «Don du poème» où Mallarmé évoque la naissance de son poème

assimilé à un nouveau-né «Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Indumée»68. Notons que

l’écrivain passe sous silence le drame du poète déçu par cette «horrible naissance» qui

n’est pas à la hauteur de ses rêves, et lit ce premier vers comme la déclaration solennelle

d’un poète qui vit l’écriture poétique comme une «aventure d’Argonautes». Pour

Malraux, le drame existentiel semble secondaire comparé à la volonté de création qui

embrase tout. C’est en effet par la métaphore du feu qu’il désigne l’acte créateur tendu

vers le fait poétique : «Sentiments et valeurs, sens, rythmes, sonorités, correspondances

et suggestions s’unissent dans la création comme les troncs, les papiers et les branches

se métamorphisent en un seul flamboiement…»69. Assimilant le pouvoir du poète à celui

de Prométhée, Malraux fait de feu le symbole de la création : «Proclamé ou secret,

l’objet véritable du poème, c’est le feu»70.

Ce feu consume la vie du poète, ses idées et ses sentiments pour les transformer

en lumière. Loin donc d’être stérile, sombre et froid, l’univers de Mallarmé est un

univers radieux, éclairé par l’éblouissante lumière de la poésie qui forme son essence

même. C’est que la poésie de Mallarmé n’est pas pour Malraux, celle d’Hérodiade qui se

mire et se meurt dans «le froid scintillement de [sa] pâle clarté»71, mais celle de

«L’après-midi d’un faune», où «tout brûle dans l’heure fauve»72.

Il convient de rappeler ici qu’en 1922, dans sa préface au catalogue de l’exposition

de Galanis73, Malraux a rapproché les toiles de l’artiste grec de la poésie de Mallarmé en

écrivant: «Certains fruits disposés sur une table, certains paysages très simples sont

beaux comme des vers de L’Après-midi d’un faune. Ils en ont la pureté, ils en ont la

douceur. Ils suggèrent la même émotion»74.

Partageant la conception «essentialiste» de Mallarmé qui écrit : «Je dis : une fleur!

et… musicalement se lève, idée même et suave l’absente de tous bouquets»75, Malraux

ne commet pas l’erreur «matiériste» d’un Diderot76. Il admire les natures mortes de

Galanis comme des formes pures supérieures aux fruits et aux bouquets réels : «Le désir

de les toucher ou de les voir ne s’éveille pas en nous, écrit-il. Peu nous importe ce qu’ils

seraient, vivants, nous savons qu’ils nous toucheraient moins que la toile ne le fait»77.

Pour exprimer l’éblouissement qu’il ressent devant les toiles de Galanis, il songe alors à

«L’Après-midi d’un faune» de Mallarmé. La littérature intervient ainsi pour suggérer

«l’ineffable»78 de l’art, et l’auteur n’hésitera pas à citer, quatre vers de ce poème de

Mallarmé, pour exprimer la transparence, la luminosité et la beauté des natures mortes

de Galanis :

 

Ainsi, quand des raisins, j’ai sucé la clarté

Rieur j’élève au ciel d’été la grappe vide

Et, soufflant dans les peaux lumineuses, avide

D’ivresse, jusqu’au soir, je le regarde au travers.79

 

L’association de la peinture de Galanis à la poésie de Mallarmé montre en fait, que

si «le fait pictural» et le «fait poétique» ont coïncidé vers la fin du XIXe siècle et qu’ils

ont connu avec Manet, Baudelaire et Mallarmé leur «âge d’or», ils ne sont pas

cependant absents des autres époques. Abandonnant lui-même ce parallèle historique

restreint, l’auteur procède ses essais à des rapprochements d’autant plus révélateurs qu’ils

sont inattendus. Ainsi dans L’Irréel, l’auteur assimile la stylisation à laquelle les peintres

maniéristes ont soumis les formes à l’art des poètes symbolistes, et associe cette fois-ci

Mallarmé à Parmesan. Bousculant toute chronologie, il définit une école picturale du

XVIe siècle par rapport à une école poétique du XIXe siècle : «Et tous les maniéristes

sont des stylistes au sens que prend ce mot lorsque nous l’appliquons aux poètes jusque

par le lien de l’écriture et du rêve, si fréquent chez les symbolistes. Il y a du Mallarmé

chez le Parmesan qu’obsèdent comme lui le cygne, l’orfèvrerie et la déformation

créatrice…»80

Malraux illustre son propos par un détail agrandi de la Vierge au long cou de

Parmesan qu’il appelle «la main florale»81. Dans cette image d’inspiration mallarméenne,

se combinent de nombreuses réminiscences, notamment celle du poème «Apparition»

qui évoque «la fée au chapeau de clarté […] laissant toujours de ses mains mal fermées /

Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées»,82 et celle du poème «Sainte» où la

«Musicienne du silence» frôle avec sa «délicate phalange / Du doigt» «une harpe par

l’Ange / Formée […]»83.

 

Cette association de la poésie de Mallarmé à la peinture maniériste italienne

révèle la haute idée que Malraux se fait du maniérisme qui est avant tout pour lui une

école de poésie: «[…] l’aventure poétique que fut le maniérisme», écrit-il dans Le

Musée imaginaire.84

 

 

Notes :

1 L’Homme précaire et la littérature, p. 152.

2 Ibid., p. 152.

3 E. Panofsky, «The iconographie of Galerie François Ier at Fontainebleau», in Gazette des Beaux-Arts,

sept. 1958.

4 «Dans la révolution qui assura le prestige des artistes et transforma de façon décisive l’idée que la

chrétienté se faisait de l’art, on verra la recherche d’un style.» L’Irréel, p. 172.

5 L’Irréel : abrériation Ir. dans la suite du texte.

6 Les Voix du silence : abréviation VS dans la suite du texte.

7 «Nous avons rétabli les fresques de la Galerie François Ier, comme nous avons rétabli les ombres des

monuments de Paris devenus absurdement noirs, et par conséquent sans ombre, puisque sans lumière»

écrit l’auteur dans la Préface d’un numéro spécial (16-17) que la Revue de l’art a consacré en 1972 à

Fontainebleau, Flammarion, 1972, p. 7. «Nous avons découvert […] les vraies fresques de Fontainebleau

[…]», écrit Malraux dans Le Musée imaginaire, «Idées /Arts», Gallimard, 1965, p. 225. Il fait

allusion à la restauration des fresques de Fontainebleau entreprise sous son ministère de la Culture

entre 1961 et 1966. Dans La Peinture française, XVe et XVIe siècles (Albert Skira, 1992), Jacques

Thuillier est reconnaissant à Malraux d’avoir redonné aux fresques de la Galerie François Ier tout leur

éclat : «Les fresques, longtemps dénaturées par des surpeints abusifs au siècle dernier, ont réapparu

sous leur vrai jour grâce à linitiative d’André Malraux, agissant comme Ministre de la Culture, et

constituent désormais l’un des ensembles les plus attachants de ce temps.» (p. 84). André Chastel fait

allusion aussi à cette restauration dans son dernier ouvrage : L’Art français, Temps modernes (1430-

1620), Flammarion, 1994, p. 163.

8 M. Jean-Paul Ledeur qui a participé à ces travaux de restauration nous a confié que «Malraux venait
à Fontainebleau environ tous les 15 jours selon son programme personnel, et plusieurs fois accompagné du Général.

La fresque la plus intéressante pour nous tous est celle intitulée L’éléphant Royal. Il faut

préciser qu’une «restauration» ou plutôt une mauvaise intervention a été réalisée sous Louis Philippe.

Toutes les fresques ont été repeintes à l’huile ! J’ai eu la chance de retrouver, un peu “fatiguée” les

peintures à fresque originale. Or L’éléphant Royal représentait un homme barbu qui après étude s’est

avéré être le portrait présumé d’Henry IV. En dessous existait et existe le portrait de… François 1er.

Volonté politique «Louis Philipparde» de changer une dynastie ! Malraux était fasciné par cette mise à

jour qui était réalisée devant lui, et comme le travail était extrêmement long (quelques centimètres

carrés par jour) j’attendais avec impatience sa venue pour continuer cette capitale découverte

historico-politique. Le résultat est étonnant. Malraux nous a fait un grand cours sur les influences et

ingérences de la politique dans l’art !» Voir l’entretien qui figure à la fin de notre étude «André

Malraux et le maniérisme», www.malraux.org, «articles en ligne», article n° 64.

9 Préface de Fontainebleau, Revue de l’art, Flammarion, 1972, numéro spécial (16-17), p. 7.

10 Voir Hippolyte Taine, Philosophie de l’art en Italie [1880], Editions d’Aujourd’hui, 1984, p. 6.

11 Les auteurs de l’Histoire universelle de l’art relèvent, quant à eux, «la torsion sinueuse du bras droit

penseur qui allait être imitée plus tard par le Greco […], procédé maniériste qui répond au langage

expressif des mains». Tome VII, p. 96. Ils rappellent également que la critique unanime voit dans le

Tondo Doni, un des points de départ du maniérisme par l’ambiguïté qui anime le fond, la frise des

ignudi (adolescents nus, mais ainsi en raison de l’énergie et de la vitalité du corps en torsion de la

Vierge agenouillée sur le sol, prête à prendre l’enfant que saint Joseph lui tend par-dessus l’épaule.»

Op. cit., p. 139.

12 Bernard Lamblin a étudié de son côté la composition théâtrale de L’Incendie du Bourg, à propos de

laquelle il écrit notamment : «L’espace est celui d’une scène avec deux coulisses où sont dressés de

chaque côté de l’ouverture centrale qui lasse percevoir le rideau de fond, des bâtiments qui n’ont

aucune consistance réelle servent à désigner conventionnellement les “lieux” où se passe l’action.»

Bernard Lamblin, «Les Chambres de Raphaël», in Peinture et Temps, Méridiens/Klinksieck et

Publications de la Sorbonne, 1987, p. 284. Quant aux personnages, ils ne manquent pas d’affectation

comme «la superbe porteuse d’amphore [qui] certainement a mieux à faire que de lutter contre le

sinistre ; de la pointe du pied à l’extrémité de la main, elle compose une figure eurythmique, propose

un modèle de beauté où la grâce n’exclut pas la plénitude de la forme.» Ibidem.

13 « […] l’art du Vatican […] était orienté par sa démiurgie, par le cosmos médicéen13, par l’irréel qui

effaçait l’imaginaire de Vérité». Ir., p. 172.

14 «J’appelle ici démiurgie, le pouvoir par lequel les grands artistes de l’irréel font de leurs figures

imaginaires les rivales triomphantes des créatures, donnent aux premières une vie aussi convaincante

que celle des secondes.» L’Irréel, p. 180.

15 Michelet a évoqué les conséquences de cette crise politique italienne sur l’art : «Le sac de Rome en

1527, la chute de Florence en 1532, avaient été en quelque sorte une ère de dispersion pour l’Italie.
La concentration fut brisée. L’art italien regarda aux quatre vents. Jules Romain s’en va à Mantoue, e
t y bâtit une ville, avec le palais, les peintures du monde écroulé, la lutte des géants contre les Dieux.

D’autres s’en vont au fond du nord, s’inspirent de son génie barbare […]. D’autres encore viennent en

France dans la matière la plus rebelle, le grès de Fontainebleau, ils trouvent des effets imprévus,

singulièrement en rapport avec le mystère du paysage du paysage, avec l’obscure et sombre énigme
de la politique des rois […]. / Je ne suis pas loin de croire que ces Italiens, ayant perdu terre, dépaysés,
quittés de leur public et de leurs critiques, d’autant plus libres en terre barbare qu’ils étaient sûrs d’être
admirés, prirent ici une hardiesse qu’ils n’avaient pas eu chez eux. Le Rosso ôta la bride à son coursier effréné.»
Jules Michelet, Histoire de France, Tome troisième, Depuis la Renaissance jusqu’à la Ligue, (1855).
Illustrée de 334 dessins, Paris, J. Hetzel et Cie, Editeurs, s.d.. p. 295.

16 «Quand nous eûmes tiré chacun deux fois, je regardai par-dessus le mur avec précaution, et je

remarquai une confusion extraordinaire parmi les ennemis. Un de nos coups avait tué Bourbon, qui

était précisément ce personnage que j’avais remarqué, parce qu’il dominait les autres. C’est ce que j’ai

su plus tard.» Vie de Bevenuto Cellini écrite par lui-même (1558-1566), publiée pour la première fois

en 1728, traduite et annotée par Maurice Beaufreton, Paris, Les Editions G. Crès & Cie, 1922, t. I, p.

115-116.

17 Voir aussi Le Miroir des limbes, OEuvres complètes, tome III, La Pléiade, p. 788.

18 «Car l’école de Fontainebleau fut d’abord la révélation et l’apothéose du nu. La pudeur médiévale est

en déroute, celle qui vivait sous la terreur de la chair, et qui tolérait seulement l’audacieux décolleté de

la Vierge sous le pinceau de Jean Fouquet.» Jean Babelon, «La Renaissance», in Renaissance,

Baroque, Romantisme, Histoire de l’art, 3, «Encyclopédie de la Pléiade», Gallimard, 1965, p. 296-

297.

19 Léonard de Vinci arriva en France en 1516, pour entrer au service de François Ier, et passa les dernières

années de sa vie au château du Clos-Lucé, près d’Amboise, où il mourut le 2 mai 1519. Il aurait

expiré d’après Vasari dans les bras du roi.Voir Giorgio Vasari, «Léonard de Vinci», Vies des peintres,

Préface de Maurice Rheims, «Les Belles Lettres», 1999, p. 118.

20 A André Chastel qui lui demandait, d’«atténuer ça et là les allusions à Primatice» dans sa Préface pour

Fontainebleau (Lettre datée du 1er septembre 71), Malraux lui répondait dans sa lettre du 3 septembre

1971, à propos du Primatice : «Je ne crois pas devoir supprimer les allusions à celui-ci : vous avez

raison de dire qu’il ne se trouve à la Galerie que par effraction ; mais sa valeur de symbole est

engagée, à mes yeux, dans tout le problème de Fontainebleau.» Archives Sophie de Vilmorin. Dans

cette Préface, le nom du Primatice est cité quatre fois.

21 «Les brillantes exégèses de Panofsky tendent à faire de la Galerie une sorte de romans à clés».

Bernard Lamblin, op. cit., p. 288.

22 Lamblin, op.cit., p. 211.

23 Dans L’Intemporel, il fait de l’arabesque le trait principal de l’art oriental peu soucieux d’illusionnisme

: «On trouve dans les palais persans et indiens, des salles où quelque Sita, quelque Leïlah,

couvre le mur de son infaillible arabesque; et d’autres salles où l’on a repeint à l’européenne la même

figure féminine. La seconde nous semble un bas-relief peint. Les figures à deux dimensions, que

l’Europe crut ignorantes de la troisième parce que le relief, «la saillie» selon Delacroix, parut tard dans

ses propres images, ne sont point les figures initiales de quelque profondeur future, de quelque

lointain à découvrir. En Perse comme en Chine, peindre voulait dire ne pas imiter.» P. 271.

24 Idem.

25 Idem, p. 123.

26 «La meilleure traduction de Maniera serait sans doute style individuel…» écrit l’auteur. Ir., p. 193.

27 Dans la préface du numéro spécial de Revue de l’art (Flammarion, 1972, numéro spécial 16-17),

Malraux loue «l’admirable déformation de certains nus de la galerie François Ier», p. 8.

28 Les Voix du silence, p. 59-60. Voir aussi Le Musée imaginaire où ce passage a été réécrit ainsi : «Mais

toutes ces Vénus, ces Dianes, en Danaés à la raide nonchalance d’intailles, appellent le mystère de

l’Eva Prima Pandora, de la Cave, de la Sémélé de Caron, du char aux chevaux sombres qui emportent

Proserpine de Niccolo dell’Abate vers les gorges funèbres.» «Idées/Arts», Gallimard, 1965, p. 182.

29 «Fontainebleau», Revue de l’art, numéro spécial 16-17, 1972. Préface d’André Malraux, p. 9.

30 « […] que Piero di Cosimo soit frère de Chirico, nous le savons.» Les Voix du silence, p. 61.

31 Voir en particulier la relation de voyage d’Idekel où il est question en particulier «des salamandres qui

filent une étoffe que le feu purifie». Royaume-Farfelu, OEuvres complètes, vol. I, «La Pléiade»,

Gallimard, p. 321.

32 Voir Roger Caratini, Alexandre le Grand, Hachette, 1999, p. 329 – 333.

33 Malraux cite ici un vers du l’un d’un sonnet où Michel Ange donne une voix à la Nuit. Voir Jean

Babelon, «La Renaissance», in Renaissance, Baroque, Romantisme, Histoire de l’art, 3, «Encyclopédie

de la Pléiade», Gallimard, 1965, p. 180.

34 Récusant l’idée que l’art est une imitation de la nature, l’auteur écrit dans Les Voix du silence : «Les

peintres de Byzance ne voyaient pas les passants dans le style des icônes, et Braque ne voit pas les

compotiers en morceaux», p. 287.

35 Pour lui, «l’art ne naît de la vie qu’à travers un art antérieur.» Ibid., p. 309.

36 En effet, à qui lui demandait un jour si elle ressemblait bien à l’actrice Brigitte Helm, Malraux avait

répondu : «Oui. Mais plutôt à la Nuit de Michel-Ange dans le mode grave et à la Pénélope du

Primatice dans le mode tendre.» Voir Suzanne Chantal, Le Coeur battant, Grasset, p. Grasset, 1976, p. 60.

37 L’Intemporel, p. 147.

38 «En peinture, le romantisme, qui s’oppose moins à un classicisme large qu’à un néoclassicisme étroit n’est pas un style : c’est une école». Les Voix du silence, p. 97. Cette «école», s’est largement inspirée de la peinture vénitienne : «Les peintres romantiques ne s’opposent pas aux grands vénitiens, ils les continuent», résume l’auteur dans l’Index des Voix du silence p. 644, et dans L’Intemporel, il écrit :

«Titien […] eût reconnu en Delacroix un fils […]», p. 10.

39 L’Intemporel p. 15. Voir aussi Les Voix du silence, p. 111-112.

40 Les Voix du silence, p. 98.

41 Ibid., p. 110. Si le «génie» créateur de Manet est agressif, l’homme, par contre, ne l’était pas. Malraux comme Bataille ont souligné son caractère conciliant, sinon timoré. «[…] Manet […] découvrit la peinture moderne presque sans s’en apercevoir […]», écrit Malraux dans La Tête d’obsidienne, in le

Miroir des limbes, OEuvres complètes, vol. III, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1996, p. 717.

42 Idem.

43 Les Voix du silence, p. 99.

44 Ibid., p. 100.

45 Ibid., p. 99.

46 Ibid., p. 110.

47 Idem.

48 Il s’agit du célèbre quatrain intitulé «Lola de Valence» qui fait partie de la section «Epigraphes» des

Fleurs du Mal, poème XV. La «Note de l’éditeur» précise que ces vers ont été composés pour servir

d’inscription à un merveilleux portrait de Mademoiselle Lola, ballerine espagnole par M. Edouard

Manet qui comme tous les tableaux de même peintre a fait esclandre. «La muse de M. Charles

Baudelaire est si généralement suspecte qu’il s’est trouvé des critiques d’estaminet pour dénicher un

sens obscène dans le bijou rose et noir». Nous croyons, nous, que le poète a voulu simplement dire

qu’une beauté d’un caractère à la fois ténébreux et folâtre, faisant rêver à l’association du rose et du

noir, Garnier-Flammarion, 1964, p. 181.

49 Les Voix du silence, p. 102.

50 Les Voix du silence, p. 114.

51 Ibid., p. 115.

52 Idem.

53 La rencontre de Mallarmé avec Manet se situe vraisemblablement en 1873. L’amitié du poète et du

peintre fut sans faille. Dès 1875, ils collaboraient à une édition du Corbeau d’Edgar Poe, et le célèbre

portrait de Mallarmé par Manet date de 1876. Mallarmé a consacré à Manet deux articles : «Le Jury

de peinture pour 1874 et M. Manet», et «Les impressionnistes et Edouard Manet». Ces deux articles

ont été repris dans Les Ecrivains devant l’impressionnisme, textes réunis et présentés par Denis Riout, Editions Macula, 1989, p. 81-102.

54 L’Intemporel, p. 38.

55 Ibid., p. 36.

56 Cette conversation a été rapportée par Degas à Valéry. Voir Paul Valéry, «Degas Danse Dessin», in

«Pièces sur l’art», OEuvres II, [La Pléiade], Gallimard, 1960, p. 1208.

57 Cézanne est reconnaissant à Manet de lui avoir révélé le fait pictural : «Le rose et le blanc d’Olympia,

dit Cézanne, nous mènent à la vérité picturale des choses par un chemin que notre sensibilité ignorait

avant eux», L’Intemporel, p. 48.

58 Ibid., p. 147.

59 Idem.

60 Idem.

61 Idem.

62 L’Intemporel, p. 13.

63 Ibid., p. 148. En 1953, Malraux émet l’idée d’un «musée imaginaire de la poésie» qui aura pour

fonction de poser la question «Qu’est-ce que la poésie ?» et de préciser ce «par quoi Homère s’unit à

Mallarmé dans notre admiration». Gaëtan Picon, Malraux par lui-même Seuil, 1953, p. 62, note 23.

64 L’Intemporel, p. 148.

65 En 1862, Mallarmé écrivait dans L’Artiste : «Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée

s’enveloppe de mystère. Les religions se retranchent à l’abri d’arcanes dévoilées au seul prédestiné;

l’art a les siens […] et depuis qu’il y a des poètes, il n’a pas été inventé, pour l’écartement des

importuns, une langue immaculée, des formules hiératiques dont l’étude aride aveugle le profane».

66 Dans sa préface à ce recueil de Mallarmé, Sartre a insisté lui aussi sur cette dimension en écrivant :

«On entrevoit chez Mallarmé une métaphysique pessimiste […]». Voir Stéphane Mallarmé, Poésies,

Gallimard, 1945, préface, p. 8.

67 L’Intemporel, p. 149. Voir ce poème dans Stéphane Mallarmé, Poésies, Gallimard, 1945, p. 44.

68 L’Intemporel, p. 149.

69 Idem.

70 Idem.

71 Mallarmé, «Hérodiade», in Poésies, Gallimard, 1945, p. 54.

72 Ibid., p. 59.

73 Malraux a beaucoup admiré le peintre-graveur d’origine grecque Démétrios Galanis auquel il a

consacré deux études. Voir notre article: «André Malraux et Démétrios Galanis» in «Le Jeune

Malraux et les peintres de son temps», in Présence d’André Malraux, n° 2, 2001-2002, p. 20-30.

74 André Malraux, «La peinture de Galanis», préface au catalogue de l’Exposition Galanis, du 3 au 18

mars 1922, Galerie de la Licorne, 110, rue de la Boétie, Paris. Texte réédité par Walter Langlois in

Mélanges Malraux Miscellany, op. cit., p. 9.

75 Avant-propos de Mallarmé au Traité du verbe de René Ghil, paru en 1886.

76 Décrivant une nature morte de Chardin, le Bocal d’olives, Diderot écrit dans le Salon de 1763 : «C’est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine ; c’est que ces olives sont réellement séparées de l’œil par l’eau dans laquelle elle nagent, c’est qu’il n’y a qu’à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade l’ouvrir et la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté et y mettre le couteau». OEuvres esthétiques, Garnier Frères, 1968, p. 484. Chardin lui paraît supérieur à Apelle et Zeuxis, parce qu’il est capable de tromper non pas «les animaux qui sont si sont mauvais juges en peinture» mais les hommes. OEuvres esthétiques, Garnier 1968, p. 485.

77 «La peinture de Galanis», op. cit. p. 9.

78 Dans l’un de ses entretiens avec Roger Stéphane Malraux se réclame d’une poétique de l’ineffable

s’expliquant au sujet de sa relation avec la littérature qui est «essentiellement la relation d’un poète»,

Malraux déclare : «[…] je crois que le romancier peut atteindre une sorte d’ineffable». Roger

Stéphane, André Malraux entretiens et précisions, Gallimard, 1984, p. 64.

79 Ibid. p. 10. Si on compare les quatre vers cités au poème de Mallarmé, on constatera que l’écrivain a

retranché le second vers au ton mélancolique : «Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté / pour

bannir un regret par ma feinte écarté». (Voir Mallarmé Poésies, Gallimard, 1945, p. 60). Le but de

cette suppression est de mettre en valeur une impression de lumière, de transparence et de beauté.

80 L’Irréel, p. 193.

81 Idem. Planche n° 129.

82 Voir ce poème «Apparition», in Poésies, op. cit., p. 24.

83 Ibid., p. 64.

84 Le Musée imaginaire, «Idées/Arts», Gallimard, 1965, p. 182.