Max Querrien est décédé le 29 mars 2019 à l’âge de 97 ans. En hommage, le Comité d’histoire publie sa biographie rédigée par Florence Contenay qui fut sa collaboratrice à la Direction de l’architecture.
Max QUERRIEN est né le 21 juin 1921 à Concarneau. Il a un diplôme d’études supérieures de droit public et d’économie politique et il est diplômé de l’Ecole libre de sciences politiques. Elève de l’ENA, promotion « France combattante » (1946-1947), première promotion, constituée en grande partie de jeunes gens venant de la Résistance, il est aussi reçu au concours normal du Conseil d’État ; il devient auditeur puis maître de requêtes, d’abord à la section du contentieux puis à la section des travaux publics, compétente en matière de droit de l’urbanisme.
Après avoir collaboré à différents cabinets ministériels entre 1954 et 1957, dont celui de la reconstruction et de l’urbanisme en 1957, Max Querrien est chargé, pour le compte du comité d’enquête sur le coût et le rendement des services publics, d’un rapport sur les conditions dans lesquelles les personnes publiques ont recours aux architectes. C’est grâce à cette entrée dans l’architecture par le biais de la commande publique qu’il est nommé directeur de l’Architecture en 1963 dans le ministère d’André Malraux. Il a pour mission de réformer l’enseignement de l’architecture qui dépend de la direction des Arts et des Lettres. Il démissionne en octobre 1968 pour retrouver au Conseil d’État la section des travaux publics.
En 1981, Jack Lang commande à Max Querrien un rapport qui est rendu en 1982 sous le titre « Pour une nouvelle politique du patrimoine ». En 1981, il est nommé président de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, responsabilité qu’il assume jusqu’en 1986, il est membre du Comité national d’évaluation des universités.
Entre 1990 et 1999, il prend en charge divers dossiers à la demande du gouvernement : les Collines de la Défense, les accès au Mont Saint-Michel et surtout le tracé du TGV-Méditerranée, en se plaçant au service tant de l’intérêt général et du droit que du paysage dans toutes ses échelles. Il est maire de Paimpol sans interruption de 1961 à 1995, date à laquelle il ne s’est pas représenté. Maire socialiste, proche de la génération d’élus des Groupes d’action municipale, il est un maire aménageur et urbaniste, soucieux de la mise en valeur du patrimoine de sa ville comme élément de son développement.
Au début de sa carrière, il enseigne le droit constitutionnel à l’université de Lille jusqu’en 1961 ; de 1950 à 1966, il est maître de conférences (institutions politiques et économiques) à l’Institut d’études politiques de Paris. Il s’intéresse tout spécialement à la question foncière au regard du droit de l’urbanisme, du droit du patrimoine et du respect de l’environnement.
Il a écrit de nombreux ouvrages dont Malraux, l’antiministre fondateur1 et Pour une politique de l’architecture2, ainsi que beaucoup d’articles, parfois sous un pseudonyme. Son style, tout en éducation et en finesse, en précision et en ironie, en fait un écrivain brillant.
Max Querrien a fait entrer l’architecture au ministère de la Culture et a, en quelque sorte inventé une nouvelle politique publique, il a été un grand directeur du Patrimoine, interprète des intuitions d’André Malraux en la matière, promoteur de l’extension du patrimoine aux édifices des XIXe siècles et de sa mise en tension par rapport à la création architecturale et à l’aménagement urbain :
Réunir la création architecturale et le traitement des monuments historiques et des ensembles anciens sous la même tutelle administrative les a mis en situation d’exercer l’un sur l’autre une influence mutuelle, à la fois respectueuse et créative, donc en principe culturellement profitable3
C’est ainsi que le traitement des monuments historiques et des ensembles anciens a bénéficié de l’apport d’architectes praticiens, conseillers dont Max Querrien s’est entouré et architectes qu’il a fait nommer à la commission des abords créée par ses soins en 1964. La commission des abords a été le creuset d’une jurisprudence sinon d’une doctrine et le banc d’essai du dialogue entre protection et création4. Ce souci d’ouverture et de dialogue a incité Max Querrien à réconcilier les architectes principalement les architectes en chef des monuments historiques et les archéologues aux prises avec l’histoire d’un même monument ou d’un même centre historique. De plus, derrière les procédures et les enjeux patrimoniaux, il a su percevoir les professionnels, les acteurs politiques et la population. En particulier, il a eu conscience des effets négatifs que les plans de sauvegarde et de mise en valeur pouvaient avoir sur le fonctionnement urbain et les équilibres économiques et sociaux de la population, et n’a pas hésité à rechercher des compromis, plaidant pour la patience et la mesure :
Il faut bien admettre l’existence de contradictions objectives entre la sauvegarde du patrimoine et l’adaptation à la vie moderne et les regarder en face si l’on veut déceler ce qu’elles ont de créatif pour en tirer parti5
La dimension humaine et sociale du patrimoine, comme vécu et valeur appartenant à tous les citoyens, sera développée dans son rapport6. Il s’agit de faire ressortir l’unité culturelle du patrimoine, de le rendre familier à la population tout entière, de manière qu’il entraîne une démarche collective de la créativité populaire. Ces intentions, Max Querrien aura l’occasion de les réaliser en tant que président de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, dont la compétence est étendue aux sites naturels de la loi de 1930, alors que la culture du site émerge dans l’opinion publique. Parallèlement, il est élu président de l’Institut français d’architecture, où il retrouve avec bonheur la création architecturale. La CNMHS deviendra sous son impulsion le bras armé de la politique de valorisation du patrimoine et de sa mise à disposition du public, dans un esprit de dialogue avec les collectivités territoriales et les associations.
Il accomplit la mission qu’il avait décrite à André Malraux dès 1963, et parvient à « faire passer les monuments historiques du statut d’objets de luxe pour privilégiés à celui de gisement de culture historique, architecturale et artistique accessible à tous7». Il s’est appuyé sur des réseaux tels que les Villes d’art et d’histoire et les Centres culturels de rencontres et il a multiplié les conventions « de partenariat et de complicité » avec les collectivités et les associations. Le patrimoine industriel sera un terrain d’expérience pour la prise de conscience d’un autre patrimoine, témoignage de la mémoire ouvrière et sociale, ainsi que pour de nouvelles approches « associant toutes les compétences des archéologues, des historiens, des architectes, des urbanistes, des élus, des habitants, des usagers du secteur à des titres divers ».
Au service du patrimoine dans son sens le plus large et le plus citoyen, Max Querrien aura été à la fois réformateur, fondateur et visionnaire au fil d’une vie riche et cohérente.
Ce texte est déjà paru dans l’ouvrage De 1913 au Code du patrimoine. Une loi en évolution sur les monuments historiques, Comité d’histoire/Documentation française, 2018. 628 p.
Pour en savoir plus :
Éric Lengereau : Architecture, urbanisme et pratiques de l’État, 1960-2010, Comité d’histoire/Documentation française, 2017, 312 p.
1 M. Querrien, Malraux, l’antiministre fondateur, Editions du Linteau, 2001
2 M. Querrien, Pour une politique de l’architecture. Témoignage d’un acteur, Editions du Moniteur, 2008
3 Ibid
4 I. Backouche, « La commission des abords », étude présentée à la Direction de l’architecture et du patrimoine, juin 2006
5 M. Querrien, Pour une politique de l’architecture. Témoignage d’un acteur, Editions du Moniteur, 2008
6 M. Querrien, Pour une nouvelle politique du patrimoine, La Documentation française, 1982
7 M. Querrien, Pour une politique de l’architecture. Témoignage d’un acteur, Editions du Moniteur, 2008