Des manifestations commémoreront le centenaire de la naissance de Jean Grosjean à Avant-les Marcilly (Aube) le 15 septembre, à Paris aux Bernardins le 1er décembre, à Baumes-les-Dames les 7 et 21 décembre.
JEAN GROSJEAN AURAIT EU 100 ANS
Le 21 décembre 2012, pour certains c’est la fin du monde. Les sociétés humaines aiment bien se créer des grandes peurs irraisonnées, comme si les catastrophes naturelles et les cataclysmes créés par l’homme ne suffisaient pas en matière d’horreur. Non, le 21 décembre 2012 a une autre symbolique beaucoup plus intéressante : C’est le centenaire de la naissance de Jean GROSJEAN.
Jean GROSJEAN, malgré sa discrétion, est un homme qui a beaucoup compté dans le monde littéraire du vingtième siècle, dans le domaine de la croyance, de la poésie et de la philosophie de la vie.
Jean GROSJEAN est donc venu au monde un 21 décembre 1912 à la tombée de la nuit, quelques jours avant Noël. Il a quitté ce même monde un 11 avril 2006 au lever du jour, quelques jours avant Pâques. La résonance de ces dates et heures nous interpelle. Jean précède l’arrivée du Christ dans la nuit et précède son départ dans la lumière naissante ! Pour un homme excessivement croyant, il ne nous est pas possible de ne pas y trouver une forte symbolique. Même son nom, doublement Jean, ne peut nous empêcher de nous faire penser à l’apôtre Jean, celui qui fut si proche du Christ. Cet apôtre Jean, dont l’évangile fut à l’origine de la vocation chrétienne de Jean GROSJEAN, restera toute sa vie le fil directeur de sa pensée messianique.
Jean GROSJEAN doit son prénom à l’entêtement de sa mère Céline qui, bien avant de savoir qu’elle épouserait Marius GROSJEAN, avait décidé que si elle avait un fils elle l’appellerait Jean. Qu’elle annonciation avait elle croisée pour ensuite tenir tête à toute la famille qui trouvait grotesque de prénommer Jean un GROSJEAN ?
Toujours est-il que cette mère a abandonné Jean dès 1915, victime de la grande guerre. Comment un tout jeune enfant peut comprendre que dans la famille, la seule victime directe de cette guerre, était une femme et qui plus est sa mère ? Son père se remarie avec une amie de Céline qui par charité chrétienne accepte le mariage afin d’élever Jean. Mais elle aurait préféré entrer au couvent et effectivement, à la fin de sa vie elle se retirera dans une abbaye. Avec cette belle-mère, Marie, Jean fut très tôt baigné dans la chrétienté. Mais enfant difficile, instable, il se cherche en vain un avenir et désespère sa famille.
Après des études en dents de scie, il devient apprenti ajusteur. Pour une fois il s’intéresse et il gardera toute sa vie une passion pour le travail du métal. Puis il eut enfin une révélation à la lecture de l’évangile de St Jean. Il sentait qu’il y avait là réponse à ses interrogations existentielles. Il entra donc au séminaire.
Il fit son service national en coopération au Liban en temps que professeur de français et secrétaire du colonel. Il fut ponctuellement réquisitionné pour assurer des opérations de maintien de l’ordre en Syrie. Il découvrit les mentalités et les modes de vie du Proche-Orient et comprit que la Bible et le Nouveau Testament avaient été écrits avec cette manière de vivre et de penser propre aux peuples sémites.
Rentré en France en 1939, à peine le temps d’être ordonné, il est aussitôt mobilisé. Il fera la drôle de guerre en Lorraine, face à la forêt de Warndt. Il sera fait prisonnier à Montargis lors du repli de son régiment vers les Pyrénées.
Dans un premier temps parqué dans un camp de prisonniers de guerre sur les bords de l’Yonne à Sens, il cherche quelqu’un avec qui parler de choses plus intellectuelles que les récriminations ou les rêves concernant tout ce qui manquait matériellement, notamment la « bouffe ». Enjambant les autres prisonniers avachis, il parcourt le camp. Un autre homme en fait autant et l’interpelle : “Hé vous, à votre avis, pourquoi avons-nous perdu la guerre ? ” Jean se dit qu’enfin il a trouvé un sujet de discussion intéressant.
Le dialogue s’engage et dure des jours. Chaque soir chacun retourne à sa place pour dormir et se retrouve le lendemain matin. Puis un soir un prisonnier dit à Jean : “Tu sais avec qui tu discutes tous les jours ? – Non – C’est André MALRAUX ! ” Jean continua de voir son interlocuteur, comme s’il ne savait pas qui c’était. André lui en fut éternellement gré : quelqu’un qui s’intéresse à lui pour autre chose que sa notoriété et qui ne change pas de comportement quant il découvre cette notoriété est forcément quelqu’un de bien sur qui on peut compter. Une amitié très proche lia les deux hommes jusqu’à la fin et bien au-delà de leurs vies. Jean fut en effet exécuteur testamentaire d’André.
Jean GROSJEAN et André MALRAUX ont vécu ensemble au quotidien pendant tout un été près de Sens dans le village de Collemier où les Allemands les avaient placés avec neufs autres prisonniers pour aider les paysans. Jean couvrit alors l’évasion d’André avant d’être envoyé en camp en Poméranie.
Cette amitié fut en effet si forte que, lorsqu’André MALRAUX, après avoir perdu femme et enfants dans d’atroces conditions, se retrouva seul et déprimé, Jean GROSJEAN n’hésita pas à quitter sa maison tranquille de champagne pouilleuse pour venir, avec son épouse et ses fils, vivre auprès de lui à la Lanterne, résidence de fonction du ministre dans le parc du Château de Versailles.
Jean GROSJEAN et André MALRAUX vécurent ainsi à nouveau ensemble au quotidien pendant un an à Versailles, le temps qu’André se sente mieux et jusqu’à ce qu’il s’installe chez Louise de Villemorin.
Comme au premier jour, ils continuèrent de dialoguer au sujet de la destinée du monde, de croyance, de philosophie, de politique internationale, ou même d’art car Jean avait en partie été élevé par son grand père maternel qui était artiste peintre et dont il admirait les œuvres.
Jean GROSJEAN revenu de prisonnier de guerre officie en banlieue parisienne, mais il sentait que la hiérarchie apostolique ne le suivait pas dans ses manières de lire les textes religieux en fonction de ce qu’il avait ressenti au Liban. Aussi préféra-t-il quitter l’Eglise de lui-même avant d’y être poussé.
Jean avait commencé à écrire. André MALRAUX, à qui il avait montré ses brouillons fit éditer par Gallimard ces soi-disant brouillons : ce fut Terre du temps Bien que cet ouvrage reçut le prix de la Pléiade que tout le monde croyait destiné à Boris Vian pour l’Ecume des Jours, Jean n’en fut jamais satisfait. Ce n’était que des brouillons.
Mais en partie grâce à ce coup d’éclat, mais aussi parce qu’il avait rencontré Claude GALLIMARD au camp de prisonniers de Neubrandenbourg, il est embauché aux éditions Gallimard. Rédacteur pour la NRF, traducteur pour la Pléiade, lecteur de manuscrits au sein du comité de lecture, directeur avec J-M G Le Clézio de la collection “l’Aube des Peuples”, il côtoya les plus grands noms de la littérature française du vingtième siècle.
Jean GROSJEAN est poète, traducteur, auteur de récits bibliques, d’une pièce de théâtre, et penseur pour qui la vie ne vaut d’être vécue que pour ce que le monde qui nous entoure nous laisse entrevoir d’un au-delà insaisissable. Le moindre souffle, c’est la vie et c’est un signe de Dieu. Et Dieu n’est que voix et ne peut être matérialisé, ni matérialisable. Dieu est là et cela doit suffire, de même que pour toujours Jean GROSJEAN sera là avec nous.
C’est cet homme dont nous fêterons le centenaire en cette fin 2012, à Avant-les Marcilly (Aube) le 15 septembre, à Paris aux Bernardins le 1er décembre, à Baumes-les-Dames les 7 et 21 décembre.
Jacques GROSJEAN – Septembre 2012