HOMMAGE À IRINA ANTONOVA
Le 30 novembre 2016 fut inaugurée à Moscou, au musée Pouchkine, une magnifique exposition consacrée à André Malraux et à son Musée imaginaire. Une dizaine de conservateurs russes avaient travaillé à son organisation, sous la direction d’Irina Antonova, présidente du musée. En février 1968, alors qu’elle en était la directrice, Irina Antonova, avait rencontré à Moscou André Malraux, venu en Russie afin d’obtenir du musée Pouchkine et de celui de l’Ermitage le prêt de toiles de Matisse, pour l’exposition qui allait célébrer à Paris, en 1970, le centenaire de sa naissance.
Irina Alexandrovna Antonova s’est éteinte à Moscou le 30 novembre et je voudrais rendre hommage à cette grande dame que j’eus le privilège d’assister durant la préparation de l’exposition « Malraux » et de rencontrer à plusieurs reprises pour des séances de travail où son professionnalisme et son autorité impressionnaient.
Née en 1922, entrée au musée Pouchkine en 1945, elle en était devenue la directrice en 1961 et le demeura jusqu’en 2013, année où elle en fut nommée présidente. Son énergie ne faiblit pas et elle continua à se rendre au musée chaque matin, occupant le magnifique bureau où elle recevait ses collaboratrices, collaborateurs et visiteurs, et où elle m’avait montré l’exemplaire des Antimémoires que Malraux lui avait dédicacé en 1968.
Je ne rappellerai pas ici le détail de sa longue et éclatante carrière, mais seulement qu’elle fut à l’origine d’expositions sur Boris Pasternak en 1989, Marcel Proust en 2001, Soljenitsyne en 2013 et, bien sûr, de l’exposition « Les voix du Musée imaginaire d’André Malraux », présentée dans « son » musée, du 1er décembre 2016 au 12 février 2017, et qui attira plus de 150 000 visiteurs. On peut dire qu’elle fut la plus importante exposition consacrée à Malraux avec celle de la Fondation Maeght en 1973 et celle du musée Idemitsu, à Tokyo, en 1978.
Âgée de près de 95 ans, Irina Antonova ne recula pas devant la fatigue de plusieurs voyages en France et ailleurs en Europe, afin de demander à ses homologues le prêt d’œuvres d’art qui pourraient illustrer certaines pages des Voix du silence. Je me rappelle notamment notre visite au musée d’Orsay où son président d’alors, Guy Cogeval, lui dit devant plusieurs témoins : « Madame Antonova, j’ai tellement d’admiration pour vous que je suis prêt à vous prêter l’Olympia, qui est notre Joconde, si le président de la République donne son autorisation ». L’autorisation fut donnée, la promesse tenue, et l’Olympia de Manet fut présentée au musée Pouchkine du 18 avril au 17 juillet 2016.
Pour l’exposition « Malraux», entre autres trésors, Irina Antonova obtint du Louvre le prêt du Saint Thomas à la pique de Georges de la Tour, du Portrait de Luis María de Cistué y Martínez de Goya ; du musée d’Orsay, le Georges Clemenceau de Manet, Scène de comédie de Daumier et La Clownesse Cha-U-Kao de Toulouse-Lautrec ; du Centre Pompidou, Jazz Band de Dubuffet (qui avait appartenu à Malraux) et une Tête d’otage de Fautrier ; du musée Guimet, une majestueuse reine khmère du XIIIe siècle ; du musée d’art moderne de la Ville de Paris, Le Baptême du Christ et le Christ aux outrages de Rouault ; du musée Rodin, une magnifique Tête de Balzac en bronze. En outre, Le déjeuner (El almuerzo) de Vélasquez fut prêté par le musée de Budapest ; Le Colosse, longtemps attribué à Goya, ainsi qu’une nature morte de Zurbaran, par le Prado ; Le Christ chez Marthe et Marie de Velasquez et La jeune femme jouant du virginal de Vermeer, par la National Gallery de Londres.
Intimidante et attachante, Irina Antonova avait la passion de l’art et une immense curiosité l’animait. Polyglotte et francophone, grande mélomane, elle avait créé en 1980, avec Sviatoslav Richter, un festival de musique, « Les nuits de décembre », qui, depuis lors, poursuit sa vie au musée Pouchkine, à partir de chaque 1er décembre…
François de Saint-Cheron.
Les Amitiés Internationales André Malraux ont appris avec tristesse le décès de Mme Irina Antonova et s’associent à cet hommage. L’association présente ses condoléances à sa famille et à ses amis.